Viens par là

Aux premières paroles de Baël, Liam répondit par un soupir sonore exprimant autant la frustration, la colère, le dépit et l'ennui. Bien malin celui qui pourrait le déchiffrer. Il tourna son regard vert vers le visage de son ami. Il avait surtout pas envie de parler de sa petite vie ce soir. Il n'en avait pas vraiment l'habitude et c'est pas aujourd'hui que ça allait changer. Henzel et sa nonchalance. Si la froideur était l'ultime armure de Liam, le je-m'en-foutisme était celui de Baël. L'autre élève roula sur le vieux divan, pour s'allonger à plat ventre, menton posé sur l'accoudoir et bras ballants. Même s'il lui proposait une bièrraubeurre, il ne se déplacerait pas pour aller la chercher. Liam esquissa un salut de la tête, sortit sa baguette et lança un sortilège d'attraction.
Il tira son fauteuil pour le rapprocher de celui de Baël. Il se vautra dans ce dernier et posa ses pieds sur l'accoudoir du divan qu'Henzel n'occupait pas. D'une pichenette, il déboucha la bouteille et but une longue gorgée. Elle était tiède mais un adolescent ne fait jamais attention à la manière dont doit être consommé un alcool, même léger. Il se passa la langue sur les lèvres avant de lever son ping droit devant les yeux de Baël. Le regard perdu sur un point imaginaire devant lui, il reprit la parole de sa voix posée presque douce.

"J'ai cogné, Simmons. Je crois que je l'ai jamais cogné de la sorte." Prenant une nouvelle lampée, il observa les écorchures qu'il avait aux jointures des doigts. "J'étais...en frénésie. Hors de moi. Je contrôlais rien. Et tu sais quoi, c'était loin d'être marrant."

Il n'aurait pas pu supporter entendre les pleurs et les cris de Simmons. Il n'avait même pas eu le courage de les entendre. Liam plissa les paupières avant de poser sa main sur sa cuisse. Il avait un mal de chien, mais ce soir, il irait demander à une élève de sa maison qui souhaite être médicomage de lui soigner ça.
Lentement, Liam tourna la tête dans la direction de son ami. Il fronça légèrement les sourcils, le visage soudain sérieux. Il se mordilla la lèvre inférieure.

"Tu crois que je suis un monstre? Parce que, j'en connais un personnellement et intimement et je m'étais juré de ne pas lui ressembler."

Personne à Poudlard ne connaissait les relations toxiques qu'entretenaient Liam et son père. Le jeune homme avait toujours bien caché cela, multipliant les mensonges qu'il utilisait depuis le décès de sa mère, évitant soigneusement le sujet "famille" ou les conversations qui tournaient autour. On le prenait pour un étudiant qui "fait son mystérieux" et son sale caractère ne donnait guère l'envie d'aller au devant de l'énigme Oliver.

Trouver une autre façon de torturer ses victimes? Le regard de Liam se perdit un instant dans le lointain. Il resta durant quelques secondes les pupilles vides, sa bouteille tenue du bout des doigts vacillante et semblant prête à tomber. Le Serpentard n'était plus vraiment sûr de vouloir s'attaquer encore à Simmons. Rien que de repenser à ce qu'il s'était passé lui donnait la nausée. Oui, le vilain Liam Oliver se dégoûtait en cet instant. Les iris cristallins de Joachim le hantaient et rien ne semblait pouvoir chasser ces terribles images et cette écoeurante sensation. Avec difficultés, Oliver déglutit avant de ciller et de reporter son attention sur Baël. Même si ce dernier était un ami, il n'envisageait pas l'éventualité de tout lui raconter. Que lui répondrait l'autre Serpentard? De puis quand Oliver avait-il une conscience et une morale? L'instigateur de la "Chasse au Jaune" ne pouvait prendre sa retraite. Son image de bourreau lui collait tellement à la peau qu'elle était devenue pratiquement un trait de personnalité. C'était à en devenir dingue. Qui était Liam Oliver réellement?

Baël poursuivit avec ce flegme qui le cractérisait. Henzel n'était pas réputé pour ces longues tirades et pourtant, là, il lui en servait une. Le regard las, Liam observait la moindre des mimiques de son ami. Ce dernier prétendait qu'ils étaient jeunes et qu'il valait mieux profiter de l'instant présent. L'âge adulte apportant son lot de responsabilités, l'adolescence était en quelques sorte une époque bénie. Il essayait de dédramatiser le passage à tabac de Simmons, banalisant son acte de violence gratuit, osant la comparaison avec des personnes bien plus ignobles.
Il y avait une indubitable logique dans les propos de Baël. Mais lui...il était bien dans sa peau, bien dans sa tête ou en donnait l'illusion parfaite. Ses ennuis, il semblait parvenir à les gérer. Son mal-être, il réussissait à le maîtriser, le contrôler. Oliver, lui, n'y parvenait pas. Il avait été obligé, contraint et forcé de grandir vite. Il avait compris trop de choses, subi trop de souffrance pour pouvoir goûter et profiter pleinement de l'enfance.
Liam prit une longue et profonde inspiration, de celles que l'on émet lorsque l'on s'apprête à révéler quelque chose de grave, quelque chose de très intime et personnel. Les yeux rivés au sol, les dents plantées dans sa lèvre inférieure, il releva vaillamment le regard sur le visage d'Henzel.

"Je vais te confier quelque chose que je n'ai dit à personne." Liam s'installa au bord du fauteuil, le dos voûté comme si une tonne venait de lui tomber sur les épaules. Il se rapprocha de Baël et continua d'une voix éteinte, blanche, bien différente de celle qu'on avait l'habitude d'entendre. "Ma mère est mrote quand j'étais tout petit et mon père en est devenu fou. Baël...si je ne veux pas rentrer chez moi, ce n'est pas pour rester avec les potes. Chez moi, je suis le Joachim Simmons de mon père. J'ai arrêté de compter les tannées que j'ai reçues, j'ai cessé de lui résister." Il se passa une main tremblante dans les cheveux. "Tu vois, je me suis juré de ne pas devenir comme lui. Je me suis promis de ne pas devenir un monstre car c'est ce qu'il souhaite faire de moi et je refuse de lui obéir. Mais tout à l'heure..." Il secoua lentement la tête. "J'étais en retenue, je devais astiquer les trophées. Peeves m'a assommé avec une coupe et Simmons est arrivé. Malgré tout ce que j'ai pu lui faire, il m'a aidé. Alors dis moi quel genre d'être humain peut s'acharner sur celui qui l'a aidé?"

Baël avait une façon toute personnelle d'exposer les confidences qu'on lui faisait. Un esprit pratique à toute épreuve et un don certain pour dédramatiser toute situation même la plus complexe. Sous sa nonchalance et son je-m'en-foutisme se cachait en fait quelqu'un de suffisamment futé pour cibler les difficultés et les réduire en poudre. Son esprit était toujours protégé par une sorte de Spero Patronus tout naturel.
A l'évocation de l'attirance qu'il éprouvait pour le Jaune, Liam rougit soudain jusqu'aux oreilles colorant son teint pâle d'une couleur rosée du plus bel effet sur le vert et argent de son uniforme. Il détourna rapidement les yeux, essayant de se composer une expression d'intense colère, en vain. Baël avait mis le doigt sur le noeud du problème. Il était un refoulé. Il rejettait en masse son désir, il ignorait sa frustration, il occultait cette faiblesse dont il faisait preuve face à son père. Baël, fin et délicat, avait roulé sur tout cela et venait de les étaler au grand jour. Liam ne pouvait plus fuir. Il se trouvait face à ce tous les démons qui le rongeaient depuis des semaines.

"Et bé...tu as une façon bien à toi de résumer la situation." Liam poussa un soupir, finit sa bouteille d'une traite et en entame une autre. "Je m'acharne sur Simmons parce qu'en le regardant je me vois gamin. J'ai espéré comme lui qu'on arrête de me cogner. J'ai attendu comme lui que la situation change. Sauf que moi j'ai abandonné. J'envie sa ténacité. Je ne suis pas attiré par lui." Il n'y avait pas trop de conviction dans ces derniers mots. Selon Baël, il devrait céder à son désir. La perspective était certes tentante mais, de une, Simmons l'avait certainement effacé de sa vie, de deux, il appartenait à Poufsouffle, de trois c'était UN Jaune. Machinalement, il porta la bouteille à ses lèvres. Une légère ivresse anesthésiait ses sens. "Jaune complexe...amusant comme terme." Il tendit le bras pour trinquer avec son ami. Autant clore rapidement le sujet "histoire plus ou moins sentimentale" pour aborder des sujets plues adéquats à une soirée où l'on s'enivre. "J'espère que cette expression ne viendra aux oreilles de Lafère. Je devrais lancer des sorts d'amnésie à toute l'école pour effacer des mémoires ses rumeurs et son existence."

Liam jetta un dernier regard à ses mains écorchées. La culpabilité refit surface. Il se donnait presque la nausée. Où était Joachim en ce moment? Quelqu'un l'avait-il trouvé? Etait-il soigné? Il ne pouvait imaginer ce que le Poufsouffle devait éprouver en cet instant. Sa gorge se noua et ses yeux lui piquèrent de nouveau. Oublier...prenant une profonde inspiration, il avala en quelques gorgées sa bouteille, la posa au sol et en prit une troisième. Une lueur de défi au fond des prunelles, il en tendit une à Baël un sourire ironique aux lèvres.

"Allez mon pote, j'ai rattrappé mon retard. Ne perds pas le rythme. Que la bièraubeurre me fasse oublier cette sale journée." Oliver se laissa tomber en arrière contre le dossier du fauteuil. Il étendit les jambes, posant ses pieds sur l'accoudoir du canapé où Baël était vautré comme un sultan. "Et toi? Que se passe-t-il de trépidant dans ta vie en ce moment? Un exploit particulier? Une nouvelle petite et attendrissante marionnette?"

LaFère, cette damnée Poufsouffle nourrissait fréquemment les couloirs de Poudlard sous un flot ininterrompu de rumeurs plus ou moins vraies. Elle savait y faire, une parole lancée en l'air sur le ton de la gentille plaisanterie, une confidence avouée d'une voix suffisamment forte pour être entendue par tout un chacun, ses techniques étaient aussi nombreuses que les puces qui grouillaient dans la fourrure d'un chat errant. La petite phrase anodine se retrouvait rapidement enflée, déformée, jusqu'à devenir un monstre incontrôlable. Des réputations s'étaient effondrées à cause de la Jaune, les couloirs avaient eu des allures de Guerre Froide où tout le monde s'épiait, se critiquait, ricanait. Liam s'était toujours tenu éloigné de la Poufsouffle. Trop dangereuse et trop intuitive. Il était hors de question que sa vie privée devienne un sujet de conversation pour une bande d'élèves. Même si Oliver avait un charisme plus que répulsif pour ce genre de choses, nul n'était à l'abri et il le savait bien.
Avoir toujours un coup d'avance sur son ennemi. Oliver opina silencieusement du chef à cette annonce. Gouverner c'est prévoir. Il ne savait plus quel moldu avait proféré cela mais il était certainement bien moins stupide que ses congénères. Il se sentit rassuré de savoir que si une quelconque rumeur à son propos venait à apparaître, Baël se chargerait aussitôt de l'indiscrète sorcière. Apparemment, la Jaune ne semblait plus vouloir croiser le chemin de son camarade. Brave petit Baël, il avait toujours su s'attirer les foudres des bonnes personnes. Sous ces aspects nonchalants, c'était une véritable petite machinerie de logique et de machiavélisme dont les rouages fort bien huilés ne faisaient jamais défaut.
Son volubile compagnon lui dressa un tableau fort succint des dernières choses "remarquables" qui avaient eu lieu. A force de se questionner sur ses sentiments tout neuf, Liam s'était écarté de toute cette effervescence adolescente, ces hormones bouillonnantes, ces manipulations malsaines et cet ennui caractéristique. Baël avait raison...cela faisait longtemps que la maison de Salazar ne s'était pas montrée. A dire vrai, depuis la création de la chasse au Jaune, il n'y avait pas eu grand chose de notable. Le regard perdu au loin, les paupières légèrement plissées, Liam conserva le silence.

"T'as une idée sur la façon dont on pourrait se faire remarquer? Il est temps d'aller faire un tour chez les Gryffondors. La guerre avec les Poufsouffles est devenue tellement banale qu'elle en devient invisible." Et puis, il ne voulait pas croiser inopinément le chemin de Simmons. C'était encore trop frais...le Jaune ne voudrait rien entendre de ce qu'il aurait à lui dire. Comment justifer ou expliquer d'ailleurs ce qu'il lui avait fait aujourd'hui? Liam se tourna vers Baël. "Shirota est un Rouge, non? Tu penses qu'il pourrait t'obéir aveuglément au point de discréditer sa Maison?" Un éclair sembla éclairer ses prunelles pâles. "Je ne suis pas en trop mauvais termes avec Rider. Cette nana est flippante, c'est à se demander ce qu'elle fout chez les Gryffondors. Elle se croit être notre égale parce qu'elle est sadique." Liam ne pouvait renier ses pulsions de violence, mais il pouvait au moins les diriger contre les "bonnes" personnes. Devenir une sorte de vengeur de l'ombre? Pourquoi pas, si ses victimes appartenaient aux maisons rivales.